Témoignage Cito et Cikuru
TEMOIGNAGE DE DEUX JEUNES JUMEAUX DE LA FONDATION ETOILE
CITO CIRIMWAMI Pacifique et CIKURU CIRIMWAMI Patrick
Age : 23 ans.
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CITO
Ces jumeaux ont l'habitude de partager leur histoire avec beaucoup d'autres jeunes de leur communauté, parce qu'ils estiment qu'elle est un peu particulière par rapport à la cour normale de la vie d'un enfant qui vit dans une société stable. S'exprimant sans complexe, Cito raconte deux temps fort :
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Une jeunesse volée
« Notre papa s'appelait CIRIMWAMI Déogratias, il n'est plus de ce monde depuis plusieurs années déjà. Notre histoire commence à l'âge de 12 ans, pendant la guerre ici à l'Est de la République Démocratique du Congo où il y avait un conflit entre l'armée nationale et les rebelles Maï Maï à Bunyakiri dans le territoire de Kalehe, province du Sud-Kivu ».
En fuyant la guerre, ces deux jeunes enfants à l'époque ont été pris en otage par les Rebelles en court de route. La vie menée dans la brousse a été infernale. Ces petits « Kadogo » comme on les surnomme dans le contexte de guerres ont été forcé à travailler pour le compte de leurs bourreaux pendants longtemps : (faire la lessive, préparer la nourriture et voler des bétails mais pire encore commettre des crimes graves comme ils le témoignent aujourd'hui : « Nous étions forcés de prendre de la drogue ; on nous droguait chaque jour pour nous pousser à commettre certains actes ignobles dans la communauté : aller voler, de même que violer les femmes qu'ils prenaient en otage et qui, de fois, étaient plus âgées que nous. Plusieurs femmes pleuraient et ne souhaitaient pas être violées mais nous étions forcés à le faire et nous n'avions pas de choix malgré le regret qu'on pouvait ressentir chaque jour qui passait. Cela nous donnait de la peine, une souffrance qui n'a pas de nom parce que nous avions avant reçu une éducation chrétienne de nos parents.
2. Tout n'est pas perdu
« On n'achetait pas la nourriture mais on allait piller dans les quartiers et villages. Malgré tout au fond de moi, Je n'avais qu'un seul rêve : Retourner chez moi voir si je peux encore vivre une vie normale.», raconte CITO : «Dieu a exhaussé ma prière, un jour nous sommes allés piller dans le village de Kambegeti, l'armée nationale FARDC nous a attrapé. Pour nous c'était un salut, pris en otage, 3 filles et 3 garçons. Nous avions par la suite expliqué aux éléments de l'armée régulière comment les rebelles Mayï Mayï nous avaient pris en otage. Les FARDC nous ont conscientisé et nous ont amené dans un Centre d'accompagnement et de réinsertion où nous avions fait plusieurs séances de détraumatisation qui nous ont permises de réintégrer la communauté. Ensuite, nous avons été reçus dans des centres pour apprendre la peinture, percussion et théâtre. Cette vie au Centre nous a fait oublier les atrocités, les violences de tout genre vécues dans la forêt. Nous étions plus dans la peinture et le bricolage. Une organisation non gouvernementale nous utilisait pour aider dans la sensibilisation des jeunes qui avaient connu la même chose que nous à reprendre une vie normale d'un enfant. La vie de la gâchette nous a volés notre enfance ce qui est vrai et nous n'en sommes pas fiers. C'est grâce à ces activités de sensibilisation communautaire que nous avons finalement retrouvé notre mère ; parce que nous sommes retournés ici dans la ville de Bukavu où elle vivait. Maman n'avait plus d'espoir de nous revoir un jour. Jusqu'à ce jour nous restons très attachés à elle pour lui témoigner de l'affection et en recevoir d'elle.
Notre intégration au sein de la Fondation Etoile est très nécessaire car on y retrouve d'autres jeunes comme nous qui ont connu des grandes difficultés dans leur vie suite aux guerres et conflits dans notre pays. Nous formons de manière bénévole ces autres jeunes/filles en dessiner et en peinture et nous essayons de leur parler de notre expérience pour leur donner la force de croire en l'avenir... ». et nous faisons toujours d'autres activités culturelles avec d'autres jeunes et ça nous rend heureux aujourd'hui.
« En dessinant ce dessin, j'ai voulu monter ce village qui accueille et qui donne la joie de vivre. Mon père était pêcheur et je souhaite revoir ce beau temps où il nous nourrissait grâce à son travail dans le lac. Les rivières, l'environnement, pour moi, sont ces lieux qui font beau vivre. J'aime beaucoup dessiner les paysages, les villages pour montrer les merveilles qui entourent l'homme. La pauvreté dans laquelle nous vivons aujourd'hui est due à l'exode rural mais aussi à la fuite de l'insécurité dans nos villages. Tout le monde veut rester en ville où il y a plus de sécurité. Je me sens dans un bon état quand je dessine pour raconter mon histoire. J'aime que mes œuvres soient connues dans le monde entier ; montrer qu'on ne doit jamais perdre espoir. A toutes les femmes que j'ai été forcé de violer je les invite à travailler pour oublier le passé, effacer les histoires traumatisantes mais à se concentrer dans quelque chose de positif pour redonner la joie à leurs vies, donner un sens à l'humanité. Je le demande aussi pardon car, j'étais drogué et forcé ».
2. CIKURU
Cikuru enseigant la sérigraphie a certaines filles de la fondation en 2018
« Sur ce tableau que je tiens entre mes mains, deux filles jouent l'instrument devant mon arrière-plan ; pour dire qu'il faut éviter la discrimination noire, rouge, blanc... J'ai pris l'instrument traditionnel de chez nous qu'on appelle « Likembe » qui invitait les gens à se rencontrer. Cet instrument était utilisé dans plusieurs tribus de la région ici. Pour l'habillement aussi traditionnel et moderne je veux montrer qu'en réalité il n'y a pas de différence mais qu'avant on vivait mieux qu'actuellement. L'instrument n'est plus utilisé pour passer l'information. Ce tableau veut montrer l'évolution de ces deux périodes, le passe et le présent ; l'oubli de la culture, notre identité...
« J'aime dessiner les femmes, les bébés. J'ai la joie en dessinant et je me sens détraumatisé. Ma vision est de faire connaître mes œuvres et de gagner ma vie à travers mon travail mais aussi approfondir mes connaissances dans la discipline de l'Art si la vie m'offre des opportunités. Vous savez, je ne suis pas complétement déçu par mon passé. Je sens plutôt que je suis heureux actuellement car j'ai rencontré beaucoup de monde qui ont changé ma vie. Je suis comme en Joseph de la Bible ; que toutes les femmes qui ont perdu l'espoir pendant la guerre, changent positivement leur vision et s'engagent pour un nouveau départ. Je n'aime plus penser au passé traumatisant.
A
la Fondation Etoile, nous avons appris à prendre soins des autres
enfants en difficulté en les encadrant en dessin, bricolage
décoration...Je connais tellement la souffrance qui est la leur
surtout ceux qui ont perdu leurs parents, ceux qui vivent dans des
familles d'accueil ici en ville. C'est pourquoi le bénévolat
que nous faisons jusque-là, c'est pour essayer de leur apporter
l'espoir, l'amour dont ils ont besoin pour, non seulement vivre,
mais aussi et surtout avancer. Grace à ces petits métiers nous
avons réussi à nous prendre en charge dans notre vie. Aujourd'hui
ma mère, Nyabadeux comme on l'appelle pour dire porteuse des
jumeaux, peut être fière de nous. Si je trouve un peu d'argent
grâce aux tableaux que je peins et, elle se sent très heureuse,
parce qu'elle peut aussi manger. Nous avons fini nos études
secondaires grâce à ces petits métiers et nous en remercions
infiniment Dieu pour ça. Mais nous ne pouvons pas nous payer
les frais pour les études supérieures, malheureusement malgré nos
ambitions de savoir un peu plus. Mais Dieu seul sait que nous réserve
l'avenir car on ne perd pas espoir. L'essentiel c'est de
continuer à nous battre pour réussir et en portant une aide aux
autres jeunes...Nous participons aux différentes expositions avec
nos jeunes et ça fait plaisir. Pour le moment nous encadrons les
petits enfants dont l'âge varie entre 9 et 16 ans pour les amener
à aimer l'art, ils peuvent aussi un jour se prendre en charge en
devenant des artistes...nous espérons faire mieux pour eux avec
l'aide de Dieu et des personnes de bonne foi»
Cikuru, en pleine exposition au festival de Bukavu pour le compte de la Fondation Etoile.